Histoires

Mercenaires en guerre
une aventure dangereuse


Par Michel Vonlanthen HB9AFO

Copyright Michel Vonlanthen Tous droits de reproduction réservés.

 

21 janvier 2024

 

 

Tout d'abord, pour y comprendre quelque chose: La Guerre civile du yemen du Nord

 

La vie des mercenaires m'a toujours intrigué. Pour moi qui suis pétri d'idées altruistes, se faire payer pour tuer des gens qu'on ne connaît pas m'a toujours semblé bizarre, sans même parler de morale. J'ai encore dans ma bibliothèque la biographie de Bob Denard (de Pierre Lunel), un célèbre mercenaire qui a occupé les médias dans  les années 60. Je ne pensais jamais avoir affaire à l'un d'eux et voilà que je les côtoye de près au Yemen lors de ma mission en 1968! Et que je me rends compte que la réalité est plus complexe que ce qu'on lit dans les livres...

 

Je me trouvais donc stationné avec mes collègues du CICR à Najran, petite ville d'origine yéménite située dans une oasis, actuellement en territoire d'Arabie Saudite ("l'Arabie, c'est où dites?"), juste à la frontière. A l'époque c'était l'équivalent de la population de Morges (250'000 aujourd'hui!). La mission se trouvait à l'extérieur de la ville, un peu  isolée, avec quelques tentes de bédouins et maisons en torchis aux alentours. Depuis le Clinobox où j'avais ma station radio, je voyais chaque jour les femmes et les enfants aller tirer l'eau d'un puits, leur eau potable. Curieux de nature, j'avais appris quelques rudiments d'arabe à leur contact, leur posant à chaque fois que des enfants m'approchaient, la question "Esch esmak?" comment t'appelles-tu. Je finis par les connaître presque tous, notamment le petit Digol (appelé ainsi en mémoire du passage du général De Gaulle en Arabie), Elie et sa soeur Riva, qui me sautait au cou à chaque fois qu'elle rentrait du puits et qu'elle me voyait affairé auprès de mon Clinobox.

 

 

 

Nous étions donc à Najran en attente du départ de l'équipe médicale pour le front. Nous n'avions pas encore la date du départ car il nous fallait les autorisations de passage des deux belligérants et André Rochat, le chef de mission, se démenait pour les obtenir. Nous avions donc un peu de temps libre et allions de temps en temps à Najran boire un pot au bistrot du coin après avoir été faire des provisions chez Hussein (-), un Palestinien qui tenait l'échoppe principale de la ville dans laquelle on trouvait de tout... même ma propre génératrice de courant, une Honda E300, qu'on m'avait volée! (Il me la rendit bien-sûr, ne sachant pas qu'elle venait de chez nous). C'est là que nous avons fait la connaissance de mercenaires français et belges, tout simplement parce qu'il avaient entendu que nous parlions français et étaient venus à notre table.

 

Petit à petit une amitié était née et ils nous racontèrent leur histoire. La plupart d'entre eux étaient des Français et des Belges qui étaient nés en Afrique de parents colons. Ils s'étaient fait spolier de leurs biens lors de la guerre du Congo et étaient entrés dans leurs armées respectives pour ensuite se faire mercenaire, n'ayant pas d'autre horizon en Afrique que le métier des armes. Il faut dire qu'au début de la guerre ils espéraient défendre leurs biens même par les armes, d'où le passage par ce métier là.

 

A Lausanne j'avais un copain membre de la section  de Lausanne de l'USKA (ancien nom des RAV, Radio Amateurs Vaudois) qui avait subi la même mésaventure et qui me l'avait racontée: Louis OQ5MA. Lui aussi était né au Congo de parents belges et il avait monté une affaire d'importation et de vente de Mercedes. Pendant longtemps tout s'était bien passé et son garage s'était développé. Et puis la guerre est arrivée et son commerce a périclité simplement parce que les nouveaux chefs du pays, les militaires, venaient lui louer ses voitures mais ne le payaient pas et ne les lui rendaient pas. Il a fini par comprendre la situation, a vendu le peu qui lui restait, et a émigré en Suisse pour sauver sa vie. Voilà le type d'histoire que nous racontaient nos nouveaux copains les mercenaires. Sauf que eux n'avaient pas émigré en Suisse mais s'étaient faits mercenaires.

 

 

Yemen: Voyage à travers le moyen âgfe

 

Certains avaient fait partie de l'équipe de Jean Schramme et de Bob Denard au Katanga, qu'on appelait "les affreux", puis "les Katangais". Par la suite certains, dont Bob Denard, oscillaient entre le Katanga et le Yemen car "au Yemen il n'y avait pas d'alcool ni de femmes mais ça payait bien, alors qu'il y en avait au Katanga mais on n'était que rarement payés". On lit tout cela en détail dans le livre de Pierre Lunel Bob Denard, mais qui s'arrête avant la guerre du Yemen. Notons en passant qu'il faut prendre ce que racontent les livres et les hommes avec circonspection car d'une part ils n'ont pas intérêt a trop divulguer leurs vraies histoires, qui n'avait pas toujours été  des plus propres, et certains étaient recherchés par différentes polices. Et puis faire la guerre peut s'exposer à des représailles envers sa famille restée au pays, raison de leur discrétion au sujet de leur identité. Je n'ai jamais pu connaître un seul nom, que des prénoms et peut-être même fantaisistes.

 

Bref, ils finirent par nous inviter à leur camp situé à une heure de camion du nôtre. A ce moment-là ils n'étaient que deux dans le camp, les autres étaient sur le front. Ils nous montrent leurs armes, essentiellement de provenance russe, française et américaine et me proposent même de tirer au bazooka, ce que je refuse, je suis de la Croix-Rouge tout de même! Nous discutons tout l'après-midi. En rentrant au camp je me rends compte que j'ai totalement changé d'avis à leur sujet. Ce ne sont pas les tueurs assoiffés de sang que j'imaginais mais des gens normaux que les hasards de la vie avaient amenés à faire cette profession.

 

Je leur demande la permission de prendre une photo du camp ce qu'ils acceptent en m'indiquant ce qu'il ne fallait pas voir sur la photo car cela pouvait donner des indications aux pilotes russes des Migs qui venaient régulièrement bombarder leurs camps, et le nôtre aussi d'ailleurs. Jean-Paul Hermann, l'infirmier qui avait déjà passé plusieurs missions avec Rochat au Yemen et qui faisait office de régisseur, m'avait raconté qu'auparavant  nos hommes mettaient de grands drapeaux de la Croix-Rouge sur les tentes des hôpitaux de campagne, à Uqd par exemple, de façon à indiquer aux pilotes de Migs qu'il ne fallait pas nous bombarder. Et puis ils se sont aperçus qu'en fait nos drapeaux leur servaient de cible, d'où leur enlèvement et le repli dans les grottes.

 

Le CICR était là pour tenter de faire respecter, tant que faire se peut, les Conventions de Genève. Mais on le voit bien, même en 2023 avec la guerre entre la Russie et l'Ukraine, dans ces moments de fureur extrême, rien n'y fait, les plus bas instincts de l'Homme prennent le dessus. C'est la raison pour laquelle je considère moi-même la guerre comme l'évènement le plus épouvantable qui puisse arriver à l'Humanité et qu'il faut tout tenter pour l'empêcher.

 

 

Camp des mercenaires, à une heure de camion de Najran

 

Quelques jours plus tard, après l'épisode de l'avion-stop, nous retournons au camp des mercenaires, et rencontrons  leur chef, le commandant Louis-Pierre  Martin (dit Loulou). Il correspond bien à l'idée que je m'en faisait car ses hommes nous en avaient parlé avec beaucoup de respect, un vrai chef aimé de ses hommes, lui-même homme de parole, d'un courage et d'un calme exemplaires. Sur le front, il restait debout, sans broncher sous la mitraille, alors que même les plus endurcis de ses hommes étaient à plat ventre. Et d'une vraie humanité: je l'ai vu demander à ses hommes s'ils avaient assez d'argent pour aller boire un pot à Najran. Il devait décéder en 2005 à 81 ans, après avoir reçu la médaille française de grand officier de la Légion d'honneur.

 

Bref, on se présente et on discute de la situation.

 

Photo de droite prise par Fred HB9AET en 1967.

 

Resté sur mes lectures, j'avais l'espoir de rencontrer Bob Denard, mais non, ce n'est pas lui, bien que ce dernier soit venu au Yemen en compagnie du Commandant Martin entre 1963 et 1964, engagés par les Royalistes, je l'apprendrai plus tard. Le chef actuel est un pur militaire de carrière avec des états de services remarquables, ayant servi son pays, la France, en Indochine (parachuté à Dien Bien Phu et plusieurs fois  blessé), pour finalement demander sa sortie du service actif peu après le putsch des Généraux contre De Gaulle à Alger en 1961. Il avait été faiblement puni pour cet engagement mais j'ai le sentiment qu'il avait dû en garder de l'amertume. Homme de conviction, il n'avait pas supporté le manque de parole du Général vis-à-vis des Français d'Algérie, du moins c'est ce que je pouvais supposer.

 

Nous parlons de  la situation en général et je lui demande comment lui et son équipe, une vingtaine d'hommes peut-être (impossible de le savoir exactement), se battent contre les Russes et les Egyptiens qui soutiennent les Yéménites socialistes du Sud. C'est relativement facile, me dit-il, car les soldats Yéménites sont courageux mais utilisent des méthodes de guerre dignes du moyen-âge. Les Egyptiens sont là avec leurs chars et canons mais la plupart d'entre eux sont partis se battre contre Israël à la guerre des 6 jours en 1967. Les Russes, eux, monopolisent les airs avec leurs Migs car ils y sont seuls, sans avions adverses ou de DCA à craindre, il n'y en a pas. Sur le front, les Yéménites avancent en rangs serrés et se font descendre comme des lapins. La tactique mercenaire est simplement de placer judicieusement 3 obusiers et de prendre leurs ennemis sous leur feu croisé. Que peuvent faire les indigènes, armés de leurs vieilles pétoires, contre ces militaires aguerris? Pas grand chose!

 

Loulou nous montre son camp et sa protection contre les avions russes. Les cantonnements sont placés à l'abri des rochers et couverts de filets de camouflaqe. C'est impressionnant d'efficacité! Et puis on discute des moyens de communication. Ils n'ont que des transceivers Collins KWM-2, les stradivarius des ondes-courtes, le luxe que je n'ai jamais pu me payer, et trafiquent sans cryptage, en français mais à mots couverts. Ils avaient tenté d'utiliser d'autres équipements, comme le Twin heathkit HX-20/HR-20, mais y ont vite renoncé pour se rabattre sur du Collins, bien mieux adapté aux conditions de la région (sable et chaleur). Je n'ai pas vu quelles antennes ils utilisaient mais je suppose qu'ils avaient des dipôles ou des fouets car ils émettaient au environs de 7MHz pour leurs liaisons internes au Yemen, une beam n'aurait pas eu de sens.

 

Trafic radio (Jojo) des mercenaires: Prise de contact

 

Le KWM-2 est un magnifique équipement, très performant grâce à ses filtres mécaniques, mais il a un défaut: il n'a pas de RIT (Receiver Incremental Tuning, qui permet de décaler la réception par rapport à la fréquence d'émission), d'où quelquefois des problèmes pour se syntoniser (écouter l'enregistrement à titre d'exemple).

 

Trafic radio des mercenaires: problème de RIT

 

 

Avant de prendre congé, il me demande si je peux lui réparer un de ses transceivers qui a un petit problème. Une demi-heure après c'était fait. Pour me remercier, il me fait don du Twin Heathkit, que je ramènerai en Suisse à mon retour. Je ne connaissais pas cet équipement et me suis vite rendu compte, après l'avoir installé dans mon shack  à  Bussigny, qu'il était effectivement inadapté à une utilisation par des militaires. Travailler en émetteur et récepteur séparés est trop compliqué lorsqu'on est sur le front sous les bombes. Sans parler de la construction Heathkit, moins professionnelle que la Collins, mais qui a cependant l'avantage de pouvoir être réparée sans problème vue la documentation à disposition.

 

Trafic radio des mercenaires: message à mots couverts

 

En quittant le camp, je me fis la réflexion que ces contacts personnels étaient utiles à tous. A moi pour connaître la situation du pays et les conditions de propagation à courte distance, et aux mercenaires pour le cas où ils devraient être soignés par nos médecins, ce qui est arrivé, voir l'épisode Faire de l'avion-stop.

 

 

Les bédouins retournent leurs vestes

 

Quelque temps après, notre équipe de médecins et d'infirmiers partaient à Jihanah au Sud_Est de Sanaa, près du front pour y installer un hôpital de campagne et soigner les blessés. Je leur avais préparé un équipement radio consistant en un  transceiver Hallicafters SR-150, d'une antenne dipôle pour le 40m et d'une génératrice Honda E300. Ils en furent totalement  satisfaits m'a dit Rochat par radio. Leur colonne était formée de 9 camions escortés par des bédouins armés. Elle devait voyager de nuit de façon à ne pas être prise pour cible par les Migs russes car leurs pilotes s'en fichaient  royalement de nos drapeaux de la Croix-Rouge, les Conventions de Genève, connais pas!...

 

Voir Une traversée du désert Yéménite filmée sur le vif (1)

Voir Une traversée du désert yéménite filmée sur le vif (2)

 

 

Je restai seul à Najran avec Daniel Cochand, notre délégué, et Ali, un gardien yéménite. Je devais écouter notre fréquence, 6.998 MHz, à heures fixes pour les vacations radio prévues. J'avais monté une ground-plane pour le 14MHz, un multi-doublet et une W3DZZ qui fonctionnaient bien, et mon équipement étant maintenant opérationnel. Je n'avais donc pas grand chose à faire si ce n'est de contacter "Campagne, notre colonne CICR, à l'heure de la  vacation du jour, et d'écouter le trafic des mercenaires.

 

Pas de problèmes les deux premiers jours, notre caravane avançait bien. Mais tout-à-coup j'entendis des nouvelles alarmantes: les Républicains avaient contre-attaqué et les Royalistes avaient dû reculer. Les combats faisaient rage et nos camarades ignoraient tout du grabuge. Je devais les contacter de toute urgence car ils étaient en danger. Le problème c'est qu'eux devaient s'arrêter s'ils voulaient communiquer par radio, monter le dipôle (vite fait), sortir le SR-150 de sa caisse, démarrer la géné et appeler sur la fréquence. Moi cela ne me posait pas de problème puisque j'étais quasiment en permanence à l'écoute. Mais comme le front était calme et stable lorsqu'ils étaient parti, nous n'avions prévu qu'une vacation par jour.

 

C'est là que j'entendis un appel au secours de Jacques, un mercenaire dont j'avais fait la connaissance à Najran (c'est lui qui devait sauter sur une mine plus tard, lire Faire de l'avion-stop).

 

Il revenait en camion du front avec des armes et des munitions, escorté par des bédouins. Sur le trajet, ceux-ci avaient stoppé la colonne, déchargé ce qui ne les intéressait pas, le mercenaire laissé nu comme un ver, mais gardé les armes et les munitions, probablement le but de leur trahison. Mais pour Jacques c'était dramatique car sous le soleil du désert, sans eau ni nourriture, c'était la mort assurée. Ce genre de retournement était assez fréquent dans cette région, les autochtones ayant plus la notion de "tribu" que celle de "pays". En conséquence, il obéissaient à leur chef et pas au gouvernement. Et si leur émir leur disait de changer de camp, ils le faisaient sans état d'âme...

 

Par bonheur, Jacques avait été débarqué nu mais il était sur le chemin que devait emprunter notre propre colonne de véhicules partant pour le front. Nos copains le virent et le recueillirent. Il put ainsi informer son équipe de sa mésaventure. Notre colonne était maintenant au courant du déplacement du front et pu modifier à temps son itinéraire.

Trafic radio des mercenaires: Appel à l'aide (mp3)

 

A la vacation du soir, Jean-Paul (Hermann) me dit que les camions étaient bloqués près de Serruan à cause du déplacement du front. Et en plus, deux de nos hommes avaient disparu: Hadi (Wolfensberger) et Bechthold (Conod). Par sécurité, nous décidâmes d'augmenter la fréquence des vacations passant de une par jour à une chaque heure.

 

Nous décidâmes alors, Daniel (Cochand) et moi, en accord avec Rochat,  de nous tenir prêts à partir précipitamment si d'aventure l'aviation républicaine venait nous bombarder. Daniel prépara de l'essence, de l'eau et des vivres pour notre survie dans le désert. Cela peut paraître bizarre que nous, membres de la Croix-Rouge Internationale, soyons susceptibles de nous faire agresser, mais les guerriers arabes sont tellement ignorants de toute convention internationale qu'ils ne font pas de différence entre les blancs qui sont au Yemen, mercenaires ou membres du CICR comme nous. Nous avions appris que la tête d'un blanc avait été mise à prix pour 1000 Dollars. Si j'avais dit ça à ma Simone, elle ne m'aurait jamais laissé partir au Yemen...

 

L'affaire finit bien tout de même. Hadi et Bechthold furent retrouvés. Ils avaient dû partir précipitamment soigner un émir malade sans avoir le temps de prévenir leurs collègues. Ouf!

 

Le soir je contacte mes copains suisses: Roger HB9PV, Jean-Marc HB9AJC et ADN, FY, FT.

 

Devenez radioamateur qu'ils disaient, vous verrez du pays!...

 

Michel Vonlanthen HB9AFO

 

 

Références