Histoires

Faire de l'avion-stop
pour sauver une vie


Par Michel Vonlanthen HB9AFO

Copyright Michel Vonlanthen Tous droits de reproduction réservés.

 

 

Je pense qu'il nous est à tous arrivé un jour ou l'autre de faire de l'auto-stop. Que ce soit par manque d'argent pour voyager, ou parce que sa voiture est tombée en panne et qu'il faut aller chercher du secours. Cela se fait de moins en moins de nos jours, la peur de se faire enlever étant devenue une hantise, les programmes TV sont pleins (trop) de ce genre de mésaventures. C'est dommage car c'est sympa de rendre service et, en retour, de profiter du babil d'un passager pour faire passer le temps.

 

Mais de l'avion-stop, qui en a fait?

 

Moi et avec l'avion ci-dessous, un vénérable DC-3 qui assurait la ligne Djeddah-Najran en Arabie Saudite!

C'est la modeste aventure que je vais vous narrer maintenant.

 

 

Le 3 février 1968, j'étais à la mission du CICR de Najran, au Yemen (en fait juste encore sur territoire saudien), et je remettais en état le réseau de télécommunications du CICR qui avait été laissé en plan au départ précipité du précédent opérateur, Fred Debros HB9AET, qui avait blessé par balle dans une embuscade une année plus tôt. J'assurais également le trafic radio quotidien avec Genève et avec les délégations CICR de par le monde car il fallait de temps en temps relayer des messages lorsqu'ils ne pouvaient pas être acheminée directement à leurs destinataires. 

 

J'avais une mission importante à accomplir, je ne devais pas avoir les deux pieds dans le même sabot, mais je pouvais m'organiser comme je le voulais. De temps en temps, je prenais un peu de temps pour écouter le trafic des mercenaires francophones engagés par les Royalistes pour combattre les Républicains du Sud. C'était instructif car cela pouvait nous donner une idée des dangers qu'il y avait à tel ou tel endroit. Les mercenaires trafiquaient en français mais à mots couverts, ils étaient pour la plupart d'anciens militaires français ou belges d'Afrique. Je pouvais néanmoins décoder leurs messages à force de les écouter. Je faisais aussi quelques incursions dans les bandes amateur à la recherche de Suisses à contacter pour donner des nouvelles à ma Belle. Accessoirement cela me permettait aussi d'évaluer l'état de la propagation radio, ce qui était utile pour améliorer les conditions de travail en érigeant de nouvelles antennes. 

 

En pleine nuit arrivent deux hommes, Robert et Jacques. Ce sont des mercenaires belges dont le dernier a sauté sur une mine dans un camion. Je les connaissais car j'avais discuté avec eux quelques jours auparavant, au marché de Najran. Jacques est dans un piètre état, sa jambe est à moitié arrachée. Son chauffeur est mort et on n'a jamais retrouvé le moteur du camion. Nos deux médecins, Hadi Wolfensberger et Max Récamier l'opèrent et moi je fais office de porte-perfusion. Nos toubibs craignent pour sa jambe car cela fait 4 jours qu'ils voyagent dans le désert pour de se faire soigner et la plaie s'est infectée. Je discute avec le blessé afin de le rassurer. Il me dit que s'il perd sa jambe il se suicidera. Ne plus pouvoir marcher signifie pour lui perdre toutes possibilité de travail, c'est un ancien militaire comme la plupart de ses collègues.

 

Le temps vire au gris. Il pleut pendant 10 minutes et il fait froid. J'effectue les contacts radio avec Genève et Jeddah mais ils sont difficiles. Ils débutent en téléphonie mais, lorsque la voix n'est plus compréhensible,  il faut passer en télégraphie afin de pouvoir copier le contenu des messages.

 

Le lendemain 4 février c'est dimanche. Nos deux toubibs décident de faire transférer le blessé à l'hôpital de Jeddah où il pourra bénéficier des soins indispensables pour, éventuellement, sauver sa jambe. C'est moi qui suis disponible pour le mener à l'aérodrome de Najran, une simple piste tassée dans le sable du désert. Je pars donc dans notre pick-up Toyota avec notre chauffeur Saïd au volant et le blessé à l'arrière sur un brancard. L'aéroport n'est pas très loin, moins d'une heure de route, mais lorsque nous arrivons en vue de la piste, je vois le DC-3 qui fait son point fixe en vue de décoller. C'est catastrophique car si Jacques ne peut pas prendre cet avion-ci, il devra attendre le prochain pendant plusieurs jours et il est quasi-certain qu'il devra se faire amputer.

 

Ni une ni deux, je dis à Saïd de couper la route à l'avion et je sors du camion en agitant  mon insigne de la Croix-Rouge. Le pilote, un sympathique Américain trop âgé pour être autorisé à piloter en Europe, me voit et coupe son moteur. Son  assistant ouvre la porte et sort l'échelle. Nous nous approchons alors au plus près de l'avion et embarquons notre blessé toujours sur son brancard.

 

Pas le temps de nous dire quoi que ce soit, juste un regard de soulagement et de reconnaissance du blessé. L'avion décolle et le mène à Jeddah où il sera soigné et sa jambe sauvée, je l'apprendrai quelques jours plus tard.

 

Et c'est ainsi que je fis ma première (et probablement la dernière) expérience d'avion-stop !

 

En 2016, je fis un voyage aux USA où j'eus l'occasion de voler dans un B-29 appelé Fifi du nom de l'épouse du mécène qui avait financé sa restauration (vidéo), et de visiter le Musée de l'air et de l'espace de Washington où se trouve ce magnifique DC-3 identique à celui du Yemen.

 

Moralité: Devenez radioamateur, vous verrez du pays!...

 

Michel Vonlanthen HB9AFO