Histoires

1963, la première mission du CICR au Yemen

 

Copyright Michel Vonlanthen HB9AFO

 

9 novembre 2023

 

 

Fred Debros HB9AET, 19 ans, Uqd, Yemen, 1963

 

Cela faisait longtemps que je la recherchais cette photo car Fred Debros HB9AET (de son nom complet Bros de Puschredon) et Willy Buff HB9YG, ont été les premiers opérateurs radioamateurs du CICR à partir en mission.  Je l'ai retrouvée dans mes archives mais j'en ignore la provenance.

 

 

Les commentaires de Fred

 

C'est bien moi, à Uqd en 1963, au Yemen. J'avais 19 ans.

Mission: 10 mars à octobre 1963 avec Willy Buff HB9YG

 

Derrière moi, à gauche, un émetteur-récepteur (TMC?) que nous avions reçus du colonel Erwin Beusch HB9EL, très sympa, un ami de mon père. Il avait 2 tubes 813B au final mais ses relais faisaient beaucoup de bruit et son récepteur general coverage, une pâle copie d'un Hammarlund, n'était pas extraordinaire. L'utiliser nous aurait obligé d'écouler notre trafic par Le Caire. Je me souviens de l'avoir enterré en 1965 ou 6 et gardé les deux 813B pour Kurt (HB9ET)...

 

C'est donc l'équipement personnel de Willy que nous utilisions pour le trafic. Un récepteur bandes amateurs RME 6900, au centre de la photo, surmonté d'un TOS-mètre Heathkit HM-11. Et un émetteur AM-SSB-CW Heathkit Marauder HX-10, un des meilleurs de sa catgorie à l'époque. Tout à droite on voit le manipulateur mécanique Vibroplex.

 

 


Hôpital de campagne d'Uqg
 

 

Article dans l'Old-Man Old-Man 4/1964 (original en allemand)

Deux opérateurs dans le désert HB9YG/4W et HB9AET/4W

 

 

A gauche Fred Debros, HB9AET, l'auteur du reportage
et à droite Willi Buff, HB9YG, très connu sous le call d'HB9YG/MM.

 

Toute l'histoire a commencé pour nous avec un télex reçu à l'école de recrue, recherchant deux opérateurs radio pour une expédition au Yemen:

 

Wir suchen noch einen Funker der bereit waere für das Ikrk in Yemen eine Mission zu machen

Le Yemen ? Aucune idée où c'est !...

 

Nous partons donc de Frobourg pour Berne pour livrer deux tonnes et demie de matériel radio, du porte-fusible au tube 813 ainsi que toutes les pièces de rechange nécessaires. Une semaine plus tard nous étions sanglés comme des haltérophiles dans un Boeing DC-4 Globemaster, en route pour Tripoli (Libye). A la Wheelus AirBase, l'appareil a été rempli jusqu'au cou de kérosène afin de pouvoir supporter un long voyage dans le désert. Nous avons ensuite continué jusqu'à Khartoum, au Soudan. Comme nous n'avions malheureusement pas de visas, nous n'avons pas pu dormir à l'hôtel, ce qui nous a obligé à passer la nuit dans l'avion. Tandis que Willy "sciait du bois" couché sur un lit fait de 30 brancards, menaçant de les faire tomber, j'ai passé la nuit avec les jeunes Américains à remplacer un des moteurs du Globemaster avec ses 36 bougies, un travail de titan! Incroyable de voir ensuite le panneau s'allumer avec toutes les indications. Sans oublier de compter les outils, très important , histoire de crash à cause d'un tournevis égaré!

 

Le lendemain nous avons continué vers Djeddah, Arabie Saoudite, où l'opérateur radio de l'ONU nous attendait. Il était en train d'acheter des légumes lorsqu'il a vu notre "oiseau" se poser. Il nous a fallu une semaine à coup de litres de Coca-Cola et de cornets glacés, en plus de la climatisation,  jusqu'à ce nous soyons vraiment opérationnels.

 

Il a fallu ensuite une semaine pour nous rendre, en compagnie du reste de l'équipe, d'abord à l'oasis de Najran,  à la frontière entre l'Arabie Saudite et le Yemen, par avion Balair. Puis transportés en camions "tape-culs" jusqu'à Uqd. Ce nom n'est pas un nouveau code Q  mais celui d'une ancienne colonie située sur la zone frontière nord, entre le Yemen et l'Arabie Saudite. L'ONU (Organisation des Nations Unies) y est installé et la zone est rendue neutre de ce fait, mais relevant tout de même de l'autorité yéménite.

 

Après ces premières épreuves ont commencé 14 jours de travail à l'air libre, sans abri. Par bonheur cela s'est rapidement amélioré avec le montage de notre propre tente radio dans laquelle nous avons pu installer nos équipements. Nous avons passé deux jours à transformer de vieilles caisses en mobilier et le grand moment est arrivé. Willy a pressé le gros interrupteur. La lumière s'est allumée et 4U1ITU, opéré par HB9UD, a répondu à notre premier appel. D'autres stations ont suivi, pour notre plus grand plaisir. Il est vrai que nos indicatifs "exotiques" HB9YG/4W et HB9AET/4W nous ont bien facilité les choses.

 

Nous avons tous les jours du trafic avec la Croix-Rouge à Genève ainsi qu'avec Djeddah où l'ONU concentre les messages. Nous sommes souvent QRV dans les bandes  amateur à la recherche de stations suisses, généralement vers midi et le soir, sur les fréquences suivantes: 7020, 14080,14125, 21080 et 28125 kHz. Nous sommes facile à contacter car nous arrivons très bien en Europe si on en juge par les bons rapports que l'on nous donne.  L'équipement de HB9YG est un émetteur Marauder et un récepteur RME 6900. Nous recevrons bientôt un transceiver Hallicarfters SR-150. Les antennes sont  tendues à une hauteur de 18 mètres et consistent en un dipôle de 2 x 5 mètres et un autre de 2 x 10 mètres, c'est tout!

 

Cordiales 73 aux OM suisses et hpe cu agn.

Fred HB9AET

 

 

 

Photo prise en 1964 depuis le rocher où Willy et Fred avaient construit un phare avec des ampoules à incandescence et de gros condensateurs pour, le soir, indiquer la direction et communiquer sommairement en morse visuel avec les camions d'eau. Nous n'avions pas de VHF (radios à courte distance). En bas de la photo se trouve le garage et tout à gauche le village.

Un jour, le camion n'est pas rentré et nous sommes partis à sa recherche en Toyota. En observant la balise à la jumelle, je la vois émettre "QTP, QTP". Moi qui croyait connaître tous les codes Q, je réponds, les phares en direction d'Uqd,  "QSL" et on continue les recherches pendant des heures. C'était une farce stupide que les chauffeurs s'étaient amusés à nous faire!...

 

Au total, Fred fera 4 missions pour le CICR:

  • 1963, 10 mars-octobre, avec Willy Buff HB9YG à l'hôpital de campagne d'Uqd
    Retour en Suisse et retour au Yemen. Du 11 novembre au 31 janvier 1964 toujours à Ukd

     
    On le voit sur la photo en compagnie de Willy Buff HB9YG et LA2SMA, opérateur radio de l'ONU. C'était la première liaison radio avec l'ONU à Gaza. L'émetteur-récepteur était alimenté par une génératrice à main (la fameuse gégène des Français).


     

  • 1964, 6 mars-27 août, à Najran, avec Max Buergin et Regula Allgoewer etc.
     

  • 1965, 16 juillet - 12 novembre à Najran mais aussi Djeddah. Trafique ham avec le call 4W2AA

    Sa licence et sa QSL  ►►►



              
Les consignes reçues pour le trafic à Ukd avec le call CICR  4WAZ


 

Il a utilisé  successivement les indicatifs HB9AET/4W, 4W1C, 4W2AA, HB9AET/HZ et 7Z1AA.

 

Durant ses derniers séjours, il a participé à plusieurs contests:

Fred chez FL8AA à Djibouti en 1965, après la fin de sa mission.

 

 

          Le shack pro et amateur, dans la tente à Uqd

 

 

HB9AET/4W en décembre 1963: log du trafic depuis Uqd, avant d'avoir reçu sa licence 4W1AA
 

  • 1967. 1 juillet-26 août dans le désert du Jauf Ibn Nasir (zone bédouine), dans une grotte à 750 km au sud de Najran. Le 26 août, entre El Boa et Hazm, il reçu une balle tirée par un Bédouin dans son bras gauche lors d'une embuscade et a dû être transféré d'urgence à Djeddah puis rapatrié en Suisse. Il a ensuite été soigné à l'hôpital de Liestal


Couché, Fred, blessé, en attente de son rapatriement

 

 

"Finie la rigolade!". Après son rétablissement, Fred a repris ses études de médecine et a passé son premier propet. En 1974, diplôme de médecin en poche, il quitte la Suisse pour les USA et s'établit près de Boston. Reçoit l'indicatif K1HB, qu'il a toujours aujourd'hui, mais ne trafique plus. Actuellement il est en bonne santé, à la retraite dans sa ferme et s'occupe de ses vaches, ânes et canards qui lui tondent ses 5 hectares de champs. Ses trois enfants sont grands et sont à leur compte. Il a 3 petits-enfants.

 

Durant toute sa carrière, il a lutté pour qu'il ne soit pas vu comme handicapé du bras. Il a donc acquis une dextérité  d'une seule main qui dépassait la moyenne, tout en évitant les situations où disposer de ses 2 mains était indispensable. Jusqu'à ce que les régulations le rattrapent et les gestes les plus simples lui soient devenus difficiles, comme par exemple, enfiler des gants stériles pour poser des veines à un patient. Là son métier s'est compliqué et il a pris une retraite anticipée. Il a terminé sa carrière comme professeur émérite, après une licence sur la Ritaline.

 

Cette aventure a marqué positivement sa vie et il n'a pas de regrets, sauf peut-être celui de n'avoir pas pu l'évoquer plus souvent en famille (Red: comme nous tous je pense).

 

 


Article de Fred dans la revue de l'IARC

 

 

 

Références