Cela faisait
plusieurs jours que j'avais des phénomènes inexpliqués dans mon shack. Des
feuilles de carton qui tombaient toutes seules des étagères et des
objets au sol qui se déplaçaient tous seuls. Au début je n'y ai pas pris
garde, pensant que c'était l'effet des courants d'air.
Mais
le désordre a augmenté et je commençais à voir des feuilles de papier
chiffonnées au sol. Et puis hier j'ai entendu du bruit juste devant moi et
j'ai cherché. Et je l'ai vu. C'était mon copain
Boudu-le-hérisson. Il était caché sous l'étagère que j'ai
devant moi lorsque je suis assis à mon bureau, les yeux dans le vague.
"Que
fais-tu là Boudu? Tu es au chaud bien-sûr mais il n'y a rien à manger ni à
boire ici, alors qu'à l'extérieur il y a beaucoup de limaces dont tu te
régales."
Il ne m'a même
pas regardé, mais s'est mis en boule, c'est son système de défense contre
les prédateurs. C'était un peu tard pour le faire partir alors je lui ai
laissé une nuit de répit. Il a bien dormi, sans faire de bruit. Mais ce
matin, je me suis mis en tête de le
déloger.
Parce qu'avoir
un SDF (Sans Domicile Fixe) comme lui c'est sympa
mais dérangeant tout de même. J'ai retrouvé quelques cacas sur la moquette
ce matin.
Il était
invisible et il m'a fallu presque une heure pour le retrouver. Il était
caché derrière une étagère sur laquelle sont posés des ordinateurs. Je
l'ai tirée en avant et Boudu, l'objet de ma recherche, est apparu, tout
éberlué de se retrouver au grand jour.
Je le vois de
temps en temps Boudu, et surtout je l'entends la nuit lorsqu'il
part
à la chasse au limaces, son repas préféré. Il me rend bien service de
manger ces gastropodes car il y a en beaucoup autour de chez moi. L'an
passé j'ai bien dû en tuer une centaine tellement il y en avait.
Je l'appelle
Boudu en référence au film "Boudu sauvé des eaux" de Jean Renoir dans
lequel joue Michel Simon. C'est l'histoire d'un clochard recueilli
par un brave homme alors qu'il se noyait. Le clochard pas le brave homme.
Il le loge chez
lui, lui donne à manger, l'habille, bref tente de le civiliser. Comme mon
hérisson, Boudu met le bordel dans la famille de ce brave homme et
finalement il repart là d'où il était venu, dans la nature.

Bref, après
l'avoir repéré derrière le chariot, je tente de le déloger mais il ne veut
pas. Il se met en boule, tous piquants dehors, le nez dans les pattes,
et refuse de bouger. Je dois alors lui faire de la place et retire tout ce
qu'il y devant lui afin qu'il se décide à repartir à l'air libre. Mais
non, il ne comprend pas.
"Tu
comprends Michel, je ne te connais finalement pas. Je te vois bien de
temps en temps, affairé autour de la maison, mais nous n'avons jamais
parlé. "

"Tu es
peut-être un méchant, je ne sais pas. Je me méfie des humains, qui ont
tout de même inventé la bombe atomique et qui n'arrêtent pas de se faire
la guerre. Bien-sûr je vois tes antennes et je sais que tu es radioamateur
mais on ne sait jamais."
"Donc je
ne bouge pas. Il te faudra trouver le moyen de me chasser si tu veux me
voir partir."
OK, j'ai
compris. Je prend donc un balais assez dur que j'utilise pour balayer
devant le garage. J'essaye de lui
faire
comprendre qu'il doit partir en lui tapotant les flancs. Mais non, il
refuse, il ne bouge pas d'un centimètre.
Je ne peux
tout-de-même pas le prendre dans mes mains pour le mettre dehors car un
hérisson ça pique et ça fait mal. On les voit bien ses piques sur la
photo.
Je déblaye tout
ce qu'il y a entre lui et la sortie et fait un couloir avec les cartons
qu'il a fait tomber. Et je le pousse avec le balais. Mais il se cramponne
comme un malade avec ses papattes. Je dois donc le faire glisser sur le
sol en le poussant en avant. La porte du garage est grande ouverte et je
me dis que, lorsqu'il la verra, il partira avec toute la vitesses de ses
petites pattes.

Eh bien non,
Môssieur ne veut pas, il essaye même de revenir en arrière. Il m'aime ce
hérisson! Finalement je le dépose sur le seuil du garage et là il comprend
enfin que je suis un brave homme qui ne lui veut que du bien.
"C'est
vrai Michel, tu n'est pas fâché que j'aie mis le bazar dans ton bureau? Tu
ne m'en veux pas?"
"Mais non
que je ne t'en veux pas gros ballot. Je veux simplement te remettre dans
ton monde, la nature, afin que tu puisses boire l'eau de
pluie dans la pierre à moudre néololithique qui me sert de fontaine à
oiseaux et te nourrir des limaces qui mangent mes salades."
Alors il
comprend. Il me regarde, me fait un clin d'oeil et sort du garage. Puis,
voyant qu'il n'y a pas de chats ou de chien, ses ennemis personnels, à
l'horizon, il part en courant rejoindre son lieu de vie, le jardin.

"Salut
Michel, merci de m'avoir remis dans la nature. Ce n'est pas que je
m'ennuie avec toi, mais je n'ai pas mangé ni bu depuis quatre jours. J'y
vais. Salut et à une autre fois!"

Boudu-le-hérisson, petite bête sympathique et innofensive
Michel
Vonlanthen
11 septembre 2015 |