Simone

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Pour paraphraser S.M. la Reine d'Angleterre, 2002 fut une "annus horribilis" pour moi puisque Simone,
la femme de ma vie, a quitté ce monde, après une lutte de 8 ans contre le cancer.

Notre coup de foudre avait eu lieu en 1964, pendant l'Exposition Nationale Suisse, dont j'opérai la station radio HB9RAS (Radio Amateur Suisses), et nous nous sommes mariés en 1968. La "citadelle" n'avait pas été facile à prendre, Simone étant de nature fière et rebelle et, depuis le début, il était clair que je devais la mériter!... Il m'a donc fallu tout d'abord lui démontrer mes qualités, ma ténacité et mon courage car elle voulait être sûre que le père de ses futurs enfants avait de la "carrure". Pour le savoir, elle m'accompagna sur les montagnes, de contest en contest, elle m'offrit mon premier transceiver 144 et mon premier moteur d'antenne avec ses économies d'apprentie coiffeuse. Nous habitions encore chez nos parents respectifs et communiquions par radio (c'est la seule fois de ma vie que j' ai fait de la CB!...). René HB9AHG devait m'avouer bien plus tard, en riant sous cape, qu'il avait surpris nos conversations enflammées... Mais Simone, c'était l'instinct et la classe personnifiée. Trois mois avant notre mariage, elle m'encouragea à partir en mission au Yemen pour le CICR, ce que je fis. Les avatars de la guerre qui s'y déroulait firent que je faillis ne pas revenir à temps pour le grand jour mais c'était probablement encore un des tests que Simone voulait me faire passer pour être sûre que je la méritais... Par contre, elle n'avais pas réfléchi à la question des préparatifs du mariage et c'est elle qui a dû se "taper" l'organisation de la cérémonie, du repas, l'envoi des faire parts et tutti quanti !... Mais elle l'a fait, et sans mon appui puisque nous n'avions aucun moyen de rester en contact hormis une fois par message radio que Roger HB9PV, "Poubelle Ventrue" dixit HB9ABB, que je contactais sur 14 MHz avec mon call 4W1Z (payé avec une bouteille de whisky) lui avait téléphoné. Deux semaines avant le jour J, je n'étais pas encore sûr de pouvoir rentrer en Suisse à temps, pris que j'étais dans les sables du désert du Roub-al-Khali, assurant les communications radio avec mes camarades sauveteurs du front, sauvant quelques vies au passage (un mercenaire belge qui avait sauté sur une mine (j'avais arrêté un DC3 qui décollait en lui coupant la route avec ma jeep sur la piste d'envol, sans cela il n'aurait pas pu être soigné à temps avant l'apparition de la gangrène), une petite fille qui avait une appendicite (là c'était mon charisme personnel (!) qui avait amadoué les militaires qui nous barraient le passage d'accès au village des bédouins où se trouvait la petite en danger de mort). Grâce à mes contacts radio, j'avais même pu sauver un mercenaire français abandonné nu en plein désert par ses accompagnants bédouins, qui s'étaient laissé acheter par le clan adverse. Bref, passant outre toutes les difficultés, je suis rentré à temps et ai pu épouser ma belle Simone. Mais quels souvenirs tout de même!...

Nous avons emménagé dans la vieille ferme que ses parents possédaient à côté de leur maison à Bussigny, dans laquelle j'avais installé mon shack (de nombreux futurs radioamateurs y furent formés) et un petit atelier de tirage de circuits imprimés. Par le suite, nous sommes partis près de Berne, à Münchenbuchsee, village dans lequel je connus la "célébrité" grâce au paysan à qui j'empruntai la grand échelle pour monter sur le toit du petit locatif que nous habitions. Je le faisais rire aux larmes à chaque fois qu'il me voyait car mon hoch deutsch lui avait paru du breton lorsque je lui avais demandé sa "Leiter", son échelle, qu'il appelait lui "Ach so, die Leiteurreu" en roulant les "r"!... Radio toujours et Simone suivait sans sourciller mes épopées de radioamateur, m'aidant ici à monter sur notre 2CV un rack-armoire métallique récupéré, me tenant là le mât sous une pluie battante, sur un "béquet" des Préalpes bernoises, pendant que je faisais les derniers QSO d'un contest 144, supportant la présence de ma station radio dans la chambre à coucher, etc... J'ai même usé de ses charmes pour passer la frontière yougoslave, pays alors communiste et bien cadenassé. Nous faisions un tour d'Europe, toujours avec notre "deuche", et j'avais avec moi un récepteur ondes courtes de construction maison (à gauche sur la photo). Bien sûr non déclaré car il n'aurait pas été toléré au-delà du rideau de fer. Je lui dis alors de faire semblant de dormir et de découvrir quelque peu ses jambes. Le douanier en fut tellement intéressé en les lorgnant par-dessous les passeports qu'il faisait semblant de scruter avec attention qu'il nous laissa passer sans fouiller le véhicule!...

Peu après notre retour en Suisse romande, notre fille Carole naquit, suivie 4 ans après par Boris. Nous avons alors habité quelques années sur la plage de Préverenges, endroit béni des dieux situé près de Lausanne. C'est là que j'ai fait mes premières expérience en ATV, sur 434,25 MHz. C'est également pendant cette période que j'ai construit mon premier ordinateur avec lequel j'ai piloté les moteurs d'antennes à la poursuite des satellites Oscar.  Lors des meetings, Simone et les enfants étaient toujours là pour organiser le gastro et donner un coup de main. Au gré de nos déménagements, ma station était toujours dans le living, même lors de ma période "RTTY", qui me faisait utiliser un vieux télescripteur Lorenz LO15, très bruyant et odorant (ah l'odeur de la tropicalisation!...). Avec les enfants, nous sommes montés je ne sais combien  de fois aux Pléiades, pour mettre au point le premier relais 144 FM romand HB9MM dont j'étais le responsable technique. Simone s'occupait des enfants, de la maison et le jardin était son domaine quasi exclusif. Ma profession d'alors me faisait beaucoup voyager, en Europe et en Afrique du nord essentiellement.

Elle me secondait toujours lorsque j'organisais des évènements OM, comme par exemple, le 40ème anniversaire des RAV dont j'étais le président. Elle m'a accompagné à toutes les réunions de Seigy auxquelles je me suis rendu, (elle visitait les châteaux et jardins pendant que j'étais aux réunions, quelquefois immobilisée à son insu), à Dayton USA à plusieurs reprises, elle m'accompagnait dans toutes mes visites archéologiques, une autre de mes passions, elle accueillait avec plaisir et discrétion tous les amis qui venaient nous voir à Bussigny et Dieu sait s'il y en eut. Elle tolérait même mes "expérience scientifiques" sur Max, le fils de Carole, le rayon de soleil de la fin de sa vie ! Et elle m'a toujours soutenu, encouragé et judicieusement conseillé lorsque j'avais des problèmes.

Simone était passionnée de parachutisme, mais elle se retint d'en faire jusqu'à ce que nos enfants furent hors de la coquille et que Boris ait passé son brevet de parachutiste. Elle sauta pour la première fois à Ampuria-Brava avec le copain de Boris, Bruno Brokken, le champion du monde de skydive-vidéo. A partir de 1994, ses forces déclinant, elle ne pu me suivre lors des dernières expéditions-tentatives de record 10GHz ATV (par contre, c'est elle qui tenait l'antenne lors du premier record de 1992 au Puy de Dôme et elle était avec nous lors de notre QSO 10 GHz à 3000 m aux Diablerets) et elle s'engagea un peu plus dans sa passion de la lecture en se dévouant pour notre bibliothèque communale, ainsi qu'au scrabble, sa passion de toujours. Elle m'avait dit, "maintenant je n'ai plus la force de skier, c'est ma dernière descente". Mais elle pu encore nager pendant quelques années et se mit à la plongée sous-marine grâce au bateau facilement transportable que nous avions acheté. Notre dernier grand voyage fut la Corse, dont nous tombâmes tous deux amoureux, ce qui nous y fit aller à deux reprise en 2001.

Le cancer l'avait atteinte en 1994. Après une opération chirurgicale, 3 ans de chimiothérapie et de traitements aussi divers qu'incapacitants et 2 ans de contrôle, elle fut considérée comme guérie. Hélas, des métastases étaient passées entre les gouttes  et son foie fut sévèrement et brutalement atteint à fin 1999. Re-chimiothérapie et traitements, avec perte des cheveux, ulcères aux lèvres, etc. Elle était dès lors condamnée et elle le savait. Elle vécu deux ans avec cette certitude et avec un courage extraordinaire, sans jamais se plaindre. Je l'accompagnais à chacun de ses examens et traitement et lui faisais la plus belle vie que je pouvais. Paradoxalement, ce furent peut-être parmi les plus belles années de notre vie avec des voyages (Barcelone avec Chantal (mère de *Sandra), Sandra (épouse de Boris) et Carole), (Madrid avec ma soeur Hélène un peu avant), du sport, des visites (de Florence), bref tout ce qui nous plaisait de faire. Et puis il y avait le petit Max, que Simone adorait et qui le lui rendait bien. Mais ma  santé et mes autres activités en souffrirent et peut-être que certains de mes collègues radioamateur peuvent comprendre maintenant pourquoi j'ai dû me démettre de quelques-unes de mes fonctions, pourquoi j'ai dû cesser certaines activités et pourquoi j'étais préoccupé et moins disponible.

A mi-mai 2002, ses douleurs sont subitement devenues intolérables et j'ai dû la faire hospitaliser en urgence. Son oncologue savait évidemment où elle en était et la fit mettre à la morphine pour apaiser ses douleurs car son ventre grossissait jour après jour. Elle vécu encore pendant deux semaines, bien soignée, profitant de chaque moment de vie pour nous parler et prendre congé de chacun d'entre nous. Elle était alors totalement consciente et chaque jour j'étais à l'hôpital. Une nuit, à 4 heures du matin, le médecin de garde m'appelle et m'annonce que Simone me demande, pensant son dernier moment arrivé. Arrivé sur place, je constate qu'elle a repris conscience et elle me dit "Ca va mieux maintenant mais j'ai cru partir et j'ai vu des choses. Ce n'était pas désagréable". Quelques heures après, ses dernières paroles pour moi furent "J'ai eu de la chance de t'avoir" puis elle perdit définitivement connaissance. Nous nous sommes relayés pendant 2 jours et 2 nuits à son chevet, Carole, Sandra, Chantal, Rose-Marie, Boris et moi. Nous avons eu le bonheur, Carole et moi, d'être là pour lui tenir les mains lorsqu'elle a poussé son dernier soupir. C'était le 3 juin 2002 au matin.

Moi aussi je peux  dire "J'ai eu de la chance de l'avoir". Pendant toute sa vie, Simone avait compris que j'avais besoin de mes passions pour vivre et que, plutôt que de s'y opposer comme le font certaines épouses, m'a toujours soutenu et encouragé dans cette voie. En contrepartie, elle a eu un époux toujours heureux de vivre (le bonheur est communicatif) et nous avons fait de grandes choses ensemble, dont nos enfants Carole et Boris. Nos deux énergies se sont additionnées et renforcées au contact l'un de l'autre et nous avons résolu l'équation 1+1=3 !

Jusqu'à ma mort, je ferai tout pour rester digne de cette femme-là! Simone, de l'Expo 64 à l'Expo 02, la femme de ma vie!

Michel Vonlanthen HB9AFO
25 décembre 2002

PS: Transmettons la flamme plutôt que les cendres! (phrase entendue à la radio (de qui est-elle?))