Système expérimental DATV 24 GHz (V1)

Par Michel Vonlanthen HB9AFO (mivonlanthen(at)bluewin.ch)

Lors de la réunion de Villars-les-Dombes (F) du 3 avril 2022, je demandai à l'assistance si quelqu'un était intéressé à faire de la DATV (TV numérique) sur 24 GHz. La réponse fut assourdissante: aucune, l'effet de surprise peut-être! Je me mis cependant au travail et voici l'équipement que j'utilisai début juin 2022 pour tenter de contacter l'expédition IQ0SS en Sardaigne depuis le Mont Caume.


 

Les composants pour le 24GHz sont assez rares, on en trouve sur E-Bay mais ils sont souvent chers. Dans les années 2010, en France, on pouvait récupérer des anciens faisceaux hertziens Alcatel, les fameuses "boîtes blanches", qui permirent à de nombreux amateurs de s'équiper à bon compte pour  faire de la SSB/CW. Du côté suisse, une brouette d'anciens faisceaux Nortel 26 GHz avait été distribuée lors d'un meeting SWISSATV. Il n'y avait donc plus qu'à piocher dans tout cela pour en faire un transverter 24GHz apte à transmettre et à recevoir de la TV numérique. Fondamentalement un transverter DATV ne diffère en rien d'un transverter SSB-CW si ce n'est que la commutation émission-réception est simplifiée, on ne fait pas de break-in en DATV.

 

Mon système DATV 24GHz expérimental est donc constitué d'un module émission et d'un module réception, les deux identiques du point de vue mécanique. Pour passer d'émission à réception et inversement, il suffit de mettre le module adéquat au foyer de la parabole, que j'ai équipé d'une glissière à cet effet. Un des avantages de cette manière de faire est que je peux faire mes essais sans avoir de correspondant. Je met le TX à distance et je reçois son signal avec le RX. C'est ce que j'ai fait pour les mettre au point.

 

Comme instrument capable d'effectuer des mesures à 24GHz,  je ne dispose que d'un fréquencemètre 26GHz Systron-Donner 6246A précis à 100Hz, d'un bolomètre HP435 avec sa sonde 18GHz (qui mesure encore à 24GHz avec quelques pourcents d'erreur). En guise d'analyseur de spectre, je dispose d'un LNB 24GHz DB6NT utilisé en ATV FM il y a 20 ans, que je relie à mon analyseur Rigol. Je peux ainsi "voir" ce qui se passe dans la bande 24GHz.

 

Fig 1: L'ensemble portable émission-réception DATV 24 GHz

 

Mon antenne est une parabole offset de 60 cm, ancienne TV sat, équipée d'une vis de réglage pour le site et d'une rose des vents pour l'azimuth. A gauche se trouve le notebook qui permet de visualiser le spectre du signal arrivant grâce à un dongle Airspy et au logiciel SDR Sharp. On ne dira jamais assez combien cette fonction "analyseur de spectre" est indispensable pour recevoir des signaux numériques que rien ne permet de distinguer du bruit de fond. Sans elle on est aveugle et le pointage de l'antenne est plus que laborieux. Le notebook permet également de démoduler le signal DATV provenant du Minitiouner (la boîte en-dessous du notebook) grâce au génial logiciel "Minitioune" de F6DZP. C'est à lui que nous devons de pouvoir recevoir du DVB-S à bas SR, typiquement 333 kS/s, ce qu'aucun récepteur grand public ne pouvait faire à l'époque de sa conception. A droite on voit le Portsdown, générateur de DVB-S développé par nos amis de la BATC, et au dessous le transceiver 144 utilisé pour la voie de service. Il est branché sur une antenne yagi 7 éléments.

 

En TV numérique, deux système DATV concurrents se partagent le marché: le DVB-S (S pour Satellite) et le DVB-T (T pour Terrestre). Le premier est très sensible mais ne supporte guère le QSB et le QRM puisqu'il a été conçu pour recevoir les satellites broadcast. Le second  est moins sensible mais il utilise un spectre multi porteuses qui le rend très efficace en cas de QSB, de QSB sélectif et de QRM. Actuellement nous utilisons presque exclusivement le DVB-S.

 

Pendant longtemps c'était le DVB-T qui nous permettait de faire de la TV numérique car nous avions la possibilité d'utiliser des récepteurs TNT du commerce, mais avec l'inconvénient de devoir travailler avec des largeurs de bande importantes, entre 3 et 8 MHz typiquement, et en QAM ce qui pénalisait le facteur de bruit de la réception. En DVB-S, Minitioune a permis de descendre jusqu'à 500kHz de bande passante et même moins, ce qui l'a rendu beaucoup plus efficace que le DVB-T. Ce dernier reste cependant plus efficient en mobile (mais qui en fait encore de nos jours?). Nous avons passé des années, F5DB et moi, à expérimenter et à comparer ces modes.

 

Si vous désirez tester le DVB-T, vous pouvez utiliser le générateur Portsdown de la BATC ou le logiciel de F1EJP. Pour la réception, il y a les récepteurs grand-public, les récepteurs de marque "Hides" (qui  descendent à 1MHz de bande passante) et également un récepteur logiciel programmé en GNU Radio (code source HB9DUG que j'ai simplifié). Le logiciel SDR Angel permet également de trafiquer en émission-réception DVB-T.

 

Le transverter ci-dessous est linéaire ce qui lui permet de retransmettre n'importe-quel signal à bande étroite (SSB, CW, FM) ou large (DATV en DVB-S ou DVB-T). C'est cependant essentiellement en DVB--S que je l'utilise sur 24GHz.

 

 

Le module récepteur

 

 

Fig 2: Le schéma bloc de la réception

 

Il se compose d'un cornet suivi d'un LNA (préamplificateur à faible bruit) Kuhne donné pour rapport signal/bruit de 1,6dB. Par chance j'avais acheté 2 cornets 24GHz identiques à une vente (CJ?) ce qui me permet aujourd'hui d'en utiliser un pour la réception et un pour l'émission. Suit un module de réception Alcatel (boîte blanche) attaqué en guide d'onde par une transition SMA-guide (WR42).

 

L'oscillateur local, le LO (Local Oscillateur), a été récupéré sur un faisceau Nortel et génère 40mW à la fréquence de 12,575 GHz, exactement ce qu'il faut pour le module de réception Alcatel qui demande une fréquence LO/2 et 15dBm de puissance. La liaison se fait en câble semi rigide et fiches SMA. La pureté de la sortie du LO est à -80dB ce qui est dû à l'utilisation d'un oscillateur diélectrique (DRO, Diélectric Resonator Oscillator) directement sur la fréquence finale, stabilisé par une chaîne PLL, Phase Locked Loop, boucle à asservissement de phase. La stabilité est parfait pour la DATV, la SSB, la CW et tous les autres modes qu'on voudra: après une minute de chauffe, l'oscillateur ne bouge que de quelques Hertz par minute. Le seul inconvénient est que cet oscillateur ne délivre par la bonne fréquence pour utiliser une FI à 432MHz. Mais c'est sans importance si on utilise un SDR et un Minitiouner en réception, tous deux peuvent se régler sur 1102MHz ce qui fait le compte:

 

(12,575GHz x 2) - 1102 = 24,048 GHz soit la fréquence de travail

 

La sortie du convertisseur Alcatel attaque un distributeur (splitter) qui répartit le signal entre l'Airspy et le Minitiouner. Et pour  terminer, les logiciels SDR Sharp et Minitioune tournent sous Windows 11/64 bits sur le notebook, équipé d'un convertisseur 12V/18V. L'ensemble est alimenté exclusivement en 12 Volts à l'aide d'une batterie 12V/22Ah à longue durée de décharge.

 

Tous les sous ensembles sont protégés contre les inversions de polarité par mon petit montage habituel constitué d'un relais dont l'enroulement est alimenté au travers d'une diode. Si on inverse accidentellement la polarité du 12V d'entrée, le relais ne tire pas et donc bloque cette tension inverse qui pourrait endommager voir détruire des composants. J'utilise des câbles munis de petits jacks 2,5mm d'un côté, le standard des alimentations 12V du commerce, et de fiches bananes de l'autre. Ce genre de câble est dangereux car on peut facilement inverser les polarités par inadvertance (je connais bien...), raison pour laquelle je protège tous mes circuits. Le gros avantage, par contre, c'est qu'avec des fiches bananes, en portable on peut facilement mesurer des tension ou des courants, mettre des rallonges, etc. C'est bien plus pratique que des fiches à détrompeur.

 

 

Fig 3: le module récepteur

 

Le module émetteur
 

Le module d'émission est constitué d'un mixer passif Alcatel (boîte blanche) attaqué par un LO Nortel à 12,575GHz, identique à celui de la réception. Le mixer double cette fréquence ce qui donne du 24,151GHz comme fréquence LO finale. L'entrée FI, Fréquence Intermédiaire,  provient d'un ensemble Portsdown (développement de la BATC, British Amateur Television Club) qui délivre le signal DVB-S voulu, à la fréquence voulue (ici 1102 MHz), à l'amplitude  voulue (à sa sortie j'ai rajouté un petit ampli 20dB à large bande), et avec le SR (Symbol Rate) et le FEC (Forward Error Correction) voulus. Il incorpore une mire animée (indispensable pour être certain que l'image affichée est bien celle qui est transmise sur le moment et non la dernière image reçue mémorisée) et une petite caméra couleur.

 


Fig 4: le schéma bloc de l'émission
 

La sortie 24GHz du mixer attaque un PA (Power Amplifier) Toshiba, également ancien "boîte blanche", via une transition coaxial-guide d'onde (SMA-WR42), qui devrait sortir dans les 300mW mais qui n'en sort que 30-40 dans mon cas, faute d'une amplification de 13dB supplémentaire. Je verrai plus tard pour augmenter la puissance et  me mettre au niveau de mes copains français, 4 Watts, grâce au même ampli Toshiba mais suivi d'un ampli à un étage développé par F6BVA.

 

Attention: Il ne faut jamais alimenter le PA Toshiba en +6 Volts avant que le -5V ne soit présent sur l'ampli faute de quoi ce dernier rendra immédiatement l'âme (non je ne l'ai pas expérimenté, je n'en ai qu'un seul...). Je me suis donc construit une alimentation sécurisée qui bloque le +6V si le -5V n'est pas présent. Je me suis inspiré des schémas que j'ai trouvé sur le Net dont, entre autres, celui de F6BVA, mais fait avec mes propres composants:

 

 

Fig 5: Alimentation +6 et -5V sécurisée

 


Fig 6: Le module émetteur
Ici avec une transition guide-coax en sortie, afin de mesurer la puissance. Normalement c'est un cornet.

Dans le choix des composants, il faut prendre garde à les choisir en fonction de leur gamme de fonctionnement, de 24 à 24,250GHz. Personnellement, j'ai eu tout d'abord un mixer Alcatel qui ne sortait que 2-3 mW et qui s'est avéré être, après mesure par F1LVO, centré sur 26GHz. Celui que j'ai acheté chez RF Microwaves par la suite était par contre bien dans la bande.

Au départ je n'avais pas de transition guide-coax et j'ai voulu m'en fabriquer une. Peine perdue car je l'ai fait à la va vite et n'ai obtenu qu'un circuit FINO, Fist In Never Out, premier entré, jamais sorti... hi. C'est à la gentillesse de F1CLQ que je dois d'avoir pu faire mes premiers essais car il m'a envoyé une transition, ajustée et testée. Si vous en trouvez à bon prix n'hésitez pas car elles sont en générale assez chères sur le Net. "Tout ce qui est rare est cher. Or une transition bon marché est rare. Donc une transition bon marché est chère!" Irréfutable mon cher Watson n'est-il  pas?
 

La parabole et son pointage

Ma parabole a une particularité unique: c'est la seule antenne 24GHz dont la butée de la vis de réglage de site provient d'un Vampire, un avion de guerre en bois utilisé par l'armée suisse en 39-45. Lorsque je fabriquais des simulateurs de vol, je recherchais activement des pièces d'avion afin que mon simulateur soit le plus réaliste possible et j'en ai acheté toute une cargaison à l'aérodrome de Sion lors d'une vente de l'armée. Et c'est une de ces pièces qui a fini sur ma parabole! Cette vis traverse le mât et appuie à l'arrière de la parabole, ce qui permet de l'élever et de l'abaisser dans le sens vertical, d'en faire un réglage fin. C'est le poids de la parabole qui rattrape le  jeu.


Fig 7: Réglage du site de la parabole
Avec la butés-rotule de Vampire

Pour l'azimuth, après plusieurs tentatives de fabriquer un réglage précis au degré-près, je me suis rabattu sur une simple rose des vents imprimée sur du carton, plastifiée et collée sur un disque épais de matière synthétique afin d'assurer la stabilité du tout. Par simples pressions sur le côté de la parabole, j'arrive facilement à pointer au degré-près. Les systèmes précédents étaient plus sophistiqués mais avaient tous du jeu ce qui rendait le pointage laborieux.


Fig 8: Rose des vents de réglage de l'azimuth

Pour une rose des vents, l'important est de lui trouver un point de référence, à parti duquel les 360 degrés de son pourtour seront exacts. Deux possibilités: je vise un point dont l'azimuth est connu, par exemple la balise 10GHz F1ZOD qui me parvient du Mont Blanc à 163 degrés. Je remplace le convertisseur de réception par un PLL-LNB 10GHz et je reçois la balise sur 618,923MHz. Sa fréquence est de 10'368,923MHz qui est convertie en 618,923MHz  (10'368,923 - le LO à 9750MHz) par le PLL-LNB. Je règle donc la parabole au maximum de signal  radio, affiche 163 degrés sur ma rose des vents, et ensuite tous les autres angles visés sont exacts.

Ou alors, si je n'ai pas de balise à disposition, je laisse pendre une ficelle du haut de la parabole, fixée exactement au centre. Je vise le soleil et fais coïncider l'ombre de la ficelle avec le centre mécanique de la parabole. J'ajuste ensuite la rose des vents sur l'angle donné par le logiciel de calcul de la position du soleil (https://fr.planetcalc.com/318/ par exemple), qui calcule la position du soleil en fonction de la date, de l'heure et des coordonnées géographiques de l'observateur. Tous les autres angles sont alors exacts.

A noter que la méthode "balise" est plus précise puisqu'elle référencie un angle "radio" et compense donc automatiquement le décalage qu'il pourrait y avoir si le PLL-LNB n'était pas exactement centré sur le point focal de l'antenne. 

Voici donc terminée la description de mon système DATV 24GHz expérimental. La suite logique sera d'augmenter la puissance d'émission, de me procurer une parabole mécaniquement plus stable (la fixation au mât de l'actuelle est en plastic), de déplacer mon LO sur 11'808GHz de façon à pouvoir attaquer le transverter sur 432MHz au lieu de 1102MHz et de l'équiper d'une commutation émission-réception si possible au moyen d'un relais guide. Il y a encore du travail mais c'est passionnant. On vit vraiment un âge d'or du radioamateurisme et de l'électronique!

Michel Vonlanthen HB9AFO

Références: