Histoires

Berné par un gamin de 10 ans


Par Michel Vonlanthen HB9AFO

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Voilà une anecdote très courte qui s'est passée lors de mon retour du Yemen, en 1968.

 

J'avais quitté Djeddah le 16 février pour me rendre de bonne heure à son aéroport , les démarches de passage de la douane étant en général assez longues. Pour une fois, l'insigne de la Croix-Rouge avait fait merveille et je me suis très vite retrouvé prêt à embarquer dans l'avion. C'était bien heureux car c'était la période du Hadj, le pèlerinage à La Mecque (près de Jeddah)  des Musulmans. S'ils le peuvent, ils doivent faire ce pèlerinage dans leur ville sainte au moins une fois dans leur vie et l'aéroport était noir de monde. De nombreux pèlerins dormaient à même le sol devant l'aérogare. 

 

Après une heure d'attente, je prends congé de Daniel Cochand (délégué CICR) qui, je le vois, a le coeur serré de me voir partir, et je monte dans le Coronado de la Swissair qui devait m'emmener à Genève après une courte escale à Beyrouth.

 

En survolant les paysages grandioses de l'Arabie Saudite, du Golf d'Aqaba et de la Mer Morte, je ne pus m'empêcher de penser qu'il y avait encore bien suffisamment de place pour tout le monde sur cette terre.

 

Et pourtant, 60 ans plus tard, nous en sommes à 8 Milliards d'habitants sur la planète, la limite à ne pas dépasser si l'Humanité veut pouvoir continuer d'exister. "Limite" non pas à cause de l'impossibilité de nourrir autant de gens, la technologie nous le permettrait, mais à cause des déchets que l'Homme produit. Jusqu'à une certaine quantité, la nature les éliminait naturellement: on creusait un trou dans la terre pour les y mettre et ils disparaissaient lentement, digérés par la nature. A partir d'un certain seuil, la quantité de déchets produits devient trop importante et la nature ne peut les éliminer avant que d'autres arrivent. Imaginez ce qu'une seule personne efflue: des montagnes de pipi et de caca, de l'eau sale, de l'air vicié, des gaz à effet de serre, du plastic, des ordinateurs, des smartphones, des voitures, etc, etc. C'est donc évident que la population mondiale ne doit plus croître au-delà d'un certain plafond, et on l'a atteint ce plafond. La quantité de déchets, et notamment de gaz, est devenue telle que le climat de la terre entière s'en trouve déréglé.

 

D'autant plus qu'il y a d'énormes différences de densité de population entre les diverses parties du monde. Pour ne parler que des pays que je connais, il semble qu'il y ait encore assez de place aux Etat-Unis lorsqu'on se promène dans les grandes plaines du Centre du pays. Mais dès qu'on va à New-York, à Times Square par exemple, on ne peut plus marcher sur un trottoir sans risquer de heurter quelqu'un tellement la foule est dense. New York contient 9 millions d'habitant, la même quantité de population que dans la Suisse toute entière.

 

Et Suisse, on a déjà l'impression d'être à la limite. Les autoroutes sont bloquées aux heures de pointe, plus de 100'000 véhicules par jour sur l'autoroute de contournement de Lausanne, près de chez moi. Je n'ose penser à tout ce que j'ingurgite par jour en gaz de voitures et de particules fines!... Il faut faire la queue partout. Si vous voulez acheter un billet pour un spectacle, par exemple Paléo, il faut le faire dans les première 20 minutes de l'ouverture des caisses sinon tout est complet. Cela dit bien à quel point de densité de population nous en sommes arrivés.

 

On ne peut pas augmenter indéfiniment une population qui doit vivre sur un territoire à la surface limitée, impossible à étendre. C'est comme vouloir faire entrer un carré dans un trou rond: tant que le carré est petit ça passe, mais dès qu'il a atteint une certaine dimension, il n'entre plus. On en est là.

 

Un effet collatéral auquel on ne pense pas est le danger d'épidémies. D'après les biologistes, des virus existent à l'état latent dans la population. Tant qu'elle n'est pas trop dense ça va, la contagion n'a pas le temps de s'installer. Mais si la densité de population augmente trop, les gens se côtoyent beaucoup plus et des pandémies peuvent se déclarer. C'est ce qui nous est arrivé en 2020 avec la pandémie de Covid-19. Et dire que c'est le moment que notre gouvernement, donc l'Economie, décide de densifier les habitats! De mon point de vue c'est quasiment criminel car d'une part cela diminue la qualité de vie de la population, et d'autre part cela augmente les risques sanitaires.

 

Et tout cela pour que le grand business continue à faire des bénéfices!

 

Car une personne de plus en Suisse c'est un consommateur de plus pour les grands distributeurs, un locataire de plus pour les propriétaires immobiliers, un patient de plus pour les hôpitaux et les EMS, un élève de plus pour les écoles, un délinquant de plus dans les prisons, un client de plus pour les vendeurs de voitures, un client de plus pour les voyagistes, les trams, les trains et les avions, etc, etc...

 

Mais revenons à nos moutons!

 

Je rentrais de Djeddah disais-je, et l'avion fit une courte escale à Beyrouth, trop courte pour que les passagers puissent sortir de l'aéroport. Je me promenai donc à l'intérieur de celui-ci, à la recherche de rafraîchissements et de quelque chose à lire. Je voulus alors acheter quelques cartes postales puisque j'avais assez de temps pour les écrire avant de repartir. Ce seraient des souvenirs sympas pour ma famille et mes amis.

 

Je choisis donc quelques cartes et présente un billet de 20 Dollars au kioskiste. Celui-ci ne le prend pas mais me dit "Désolé, je n'ai pas assez de monnaie. Alllez le changer à la banque qui se trouve dans le bâtiment!". Je suppose que j'ai dû faire gris mine, me disant que je n'avais pas trop de temps à perdre si je voulais pouvoir écrire mes cartes avant le départ, car un petit gamin d'une dizaine d'années qui se trouvait derrière moi, me tira par la manche et me dit en souriant: "Donnez-moi votre billet, j'irai faire le change pour vous, ça ira plus vite!"  Sans penser plus loin, je le lui donnai et il partit en courant.

 

Je l'attendais sur un banc devant le kiosque et le temps passait. Je tentais d'apercevoir mon gamin dans la foule mais en vain, il ne revenait toujours pas. Et arriva ce qui devait arriver: le haut-parleur appela les passager pour Beyrouth. Je compris alors que je m'étais fait berner comme un gamin par un gamin de 10 ans! Mais ce n'est pas tout. 

 

Monté sur l'escalator je risquai un dernier coup d'oeil derrière moi et vit mon gamin, lui aussi au sommet d'un escalator, un grand sourire aux lèvres, me faisant adieu avec mon billet de 20 Dollars. Il avait de l'humour ce petit, et il savait qu'un petit billet de 20 Dollars n'allait pas déséquilibrer mon budget familial, alors que pour lui, c'était peut-être de la nourriture pour quelques jours. Il me fit un grand sourire, à moi, son mécène involontaire.

 

Exactement 50 ans plus tard, en 2018 en Birmanie, je retrouvai un sourire complice et amical identique.

 

Je m'apprêtais à visiter un temple au bord de l'Irrawadi lorsqu'un petit gamin me proposa une écharpe à acheter. Je lui dis "Oui, je te l'achète, mais je la prendrai (et la payerai, la leçon de Beyrouth avait porté) à mon retour, ici. Je vis bien que le gamin avait des doutes, mais à la fin de la visite, il était là, à la même place. Je lui achetai l'écharpe en lui demandant la permission de le photographier. Il eut le même sourire que mon petit de Beyrouth.

 

 

Sur la photo, on voit le gamin avec ses écharpes et le billet que je lui avais donné en échange de celle que je porte maintenant régulièrement. Je l'aime cette écharpe car elle ne cache pas seulement les replis de mon cou et me tient chaud, elle me réchauffe le coeur. Le monde peut être beau si on partage un sourire!...

 

Michel Vonlanthen HB9AFO