Histoires

Cryptomatic HC-530
de Crypto AG


Par Michel Vonlanthen HB9AFO

Copyright Michel Vonlanthen Tous droits de reproduction réservés.

 

Le Cryptomatic était un télescripteur permettant d'émettre et de recevoir des messages écrits, comme tout télescripteur, mais les rendait illisibles à ceux qui n'en avaient pas la clé de cryptage. Sauf pour la CIA qui truquait la machine...

 

Crypto AG était un fabricant suisse d'équipements cryptographiques, dont le siège était à Steinhausen (Zoug). L'entreprise avait été fondée en 1952  par Boris Hagelin († 1983), un ingénieur suédois naturalisé suisse.

 

Parmi d'autres modèles, la HC-550 a été développée en 1978 en collaboration avec la CIA à partir de la mécanique du  télex Siemens T-1000. Elle travaillait sur le principe du registre à décalage que la CIA avait développé en 1966. Elle avait dissimulé une entrée secrète dans son algorithme qui lui permettait de lire les messages en clair (sic).

 

La HC-550 avait l'aspect (et le poids) d'un télescripteur alors que la  HC-530 était le modèle portable, que le CICR a utilisée de 1982 jusqu'aux années 90, bien que le Sitor l'ait supplanté dès 1994. A noter que le CICR ne travaillait pas en crypté mais seulement en clair car c'était une obligation légale (trafiquer en clair). C'est sa robustesse qui avait encouragé son achat.

 

A partir de 1988, le HC-530 travaillait en ARQ (Automatic ReQuest), dispositif qui contrôle la bonne réception de chaque groupe de mots envoyés. Si le récepteur mentionne une erreur, l'émetteur le répète automatiquement jusqu'à ce qu'il soit compris.

 

Elle fut supplantée par  le système Sitor, transmission sécurisée avec correction d'erreurs (Sitor-A), ou correction des erreurs prédictives (Sitor-B = FEC, Forward Error Correction ). La transmission était assez lente, 100 bauds au maximum, lire le témoignage de HB9DAN C'était en 1991. Remplacé plus tard par le Pactor, plus rapide, jusqu'à 5512 Bauds.

 

 


La cryptomatic HC-530 (au-dessus le commutateur automatique phone-RTTY)

 

 

Utilisation de la HC-530

 

Une carte de mode d'emploi simplifié était disponible: recto  et  verso.

Ainsi que le manuel d'utilisation complet

 

 

 

Son histoire

 

En février 1979, moins de deux ans après l'introduction de la série HC-500, Jürg Spörndli, employé de Crypto AG, découvrit qu'il était possible de casser le cryptage de la machine en connaissant seulement 100 caractères de texte en clair, probablement après avoir assisté à un séminaire du mathématicien américain Martin. Il avait prouvé que le chiffrement était sujet à caution et qu'on pouvait le craquer avec la méthode KPTA comme on l'appelait dans le monde cryptologique. Pour Crypto AG et la CIA, c'était une nouvelle catastrophique, car qui voudrait encore leur acheter leurs machines-passoires si l'affaire devait être révélée au grand public?

 

Entre-temps le fondateur avait passé la direction de l'entreprise à son fils et celui-ci voulait révéler l'affaire. Mais il mourut dans un "accident" de voiture.

 

L'algorithme original avait été développé par Peter Jenks de la NSA et était censé résister durant au moins 20 ans. Mais Jürg Spörndli avait révélé sa faiblesse, qu'il était urgent de corriger avant que les clients ne la découvrent d'eux-mêmes. À la NSA, Dave Frasier trouva la parade dans l'urgence, qui corrigeait le défaut mais qui rendait l'accès bien plus difficile pour la NSA . Quelques mois plus tard, mi-1979, Peter Jenks quittait la NSA et Dave Frasier se suicidait.  (source Crypto Museum)

 

 

 

La kafkaïesque affaire Hans Bühler

 

En 1992, notre copain Hans Bühler HB9XJ, travaillait pour la firme suisse Crypto AG et la représentait en Iran, à Téhéran.

 

A cette époque, le gouvernement iranien avait ordonné l'élimination de Chapour Bakhtiar, ancien premier ministre devenu opposant et fondateur du Mouvement de Résistance Nationale de l'Iran. Celui-ci fut assassiné le 6 août 1991 à son domicile de Suresne, près de Paris, en compagnie de son secrétaire. Il fut retrouvé 2 jours plus tard poignardé à 13 reprises puis égorgé au couteau par 3 assassins. Neuf hommes furent soupçonnés du meurtre et condamnés par contumace par la Cour d'assise de Paris le 2 novembre 1994, l'organisateur présumé étant Hossein Sheikhattar, conseiller du ministre des Télécommunications iranien.

 

Or, le 6 août, soit 2 jours avant la découverte du corps, l'Iran avait envoyé un télex au moyen d'une HC-530 à son ambassade de Paris lui demandant si Chapour Bakhtiar était éliminé, qui lui avait répondu que c'était le cas, "Nous avons liquidé Chapour Bakhtiar, il est mort". L'information, décodée par les services secrets français, fuita et apparu sans attendre dans les journaux français. Le gouvernement iranien compris alors que ses messages avait été décryptés puisque le corps de Bakhtiar n'avait pas encore été découvert et soupçonna immédiatement Crypto AG et sa machine HC-530 d'en être la cause.

 

Hans Bühler, le représentant de Crypto AG à Téhéran, fut alors arrêté et moisit en prison durant une année, Crypto refusant de payer la rançon exigée par l'Iran, un million de Dollars. Hans ne savait bien-sûr rien du truquage de la HC-530, c'est donc un innocent (une fois de plus) qui payait les pots cassés. Depuis la Suisse, son épouse tenta d'obtenir sa libération mais rien n'y fît jusqu'à ce qu'elle menace d'écrire tout ce qu'elle savait des affaires de Crypto dans les journaux. Finalement ce fut la firme Siemens qui paya la rançon et Hans fut libéré. Il avait dû promettre de ne rien révéler, promesse qu'il tint jusqu'à sa mort en 2018. A la retraite, il m'envoya quelques photos concernant ses missions au CICR et le texte que vous pouvez lire dans Mission au Biafra en 1968.

 

En 1994, il a écrit un livre qui s'appelle: Verschlüsselt" der Fall Hans Bühler.

On peut se le procurer (en allemand) chez Orell Füssli pour 32,90 Fr.

 

 

 

L'affaire Crypto AG

 

La politique est l'art d'empêcher les citoyens de se mêler de ce qui les regarde (Paul Valéry)

 

L'affaire fut révélée au monde en février 2020. La CIA et le BND, service de renseignement allemand avaient intercepté, durant des dizaines d'années, des milliers de documents via les appareils de chiffrement de l'entreprise Crypto. Grâce à des appareils truqués, ils avaient lu les messages de plus de 100 états étrangers.

 

Les deux services de renseignement avaient secrètement acheté l'entreprise zougoise à parts égales en 1970, en passant par une fondation du Liechtenstein. Le BND a quitté l'opération en 1993. Mais les Etats-Unis ont prolongé les écoutes jusqu'en 2018 au moins, selon des recherches conjointes de la télévision alémanique SRF, de sa consoeur allemande ZDF, ainsi que du Washington Post. L'enquête parlementaire a montré que le Renseignement suisse savait depuis 1993 qui se cachait derrière Crypto. Mais il a collaboré avec eux pour collecter des informations sur l'étranger à l'insu du pouvoir politique suisse et bien-sûr de la population.

 

La NSA (National Security Agency) a révélé que Hagelin avait bel et bien conclu un gentleman's agreement avec elle à partir de 1951. En 1960, Crypto AG avait un accord de licence avec la CIA. En 2018 elle fut vendue à "Crypto International AG" qui, le 3 juillet 2020, licencia tout son personnel suite aux actions du gouvernement suisse.

 

La duplicité du gouvernement suisse auprès de ses citoyens fut évidente, ce qui me donna l'idée d'une lettre ouverte afin de profiter de leur moment de honte pour faire une bonne action

:

 

 

Voir aussi Il faut sauver le soldat Assenge.

 

 

Les Etats n'ont pas de sentiments, ils ont des intérêts (Charles De Gaulle)

 

Julian Assenge, célèbre journaliste australien, avait créé Wikileaks et livré au public nombre de documents confidentiels qui démontraient la duplicité de certains gouvernements, entre autres celui des Etats-Unis (Pentagon Papers). Ces derniers voulaient le traduire en justice car ils ne lui pardonnaient pas d'avoir rendu public leurs dissimulations et mensonges. Il s'était réfugié à l'ambassade de la Colombie à Londres où il était resté cloîtré pendant 10 ans, emprisonné ensuite par les Anglais qui voulaient l'extrader aux USA. Julian était en train de perdre sa santé et sa vie si bien que de lui offrir l'hospitalité en Suisse lui aurait sauvé la vie.

 

En 2023, le Conseil Fédéral n'a toujours rien fait, et bien-sûr pas répondu à ma lettre ouverte, et Julian Assenge croupit toujours au secret dans une geôle anglaise. Malheur à celui par qui le scandale arrive, reste une vérité absolue puisque le gouvernement persécute le lanceur d'alerte mais ne punit pas les fautifs. Et pourtant les lanceurs d'alerte sont indispensables à la démocratie car, sans eux, les dissimulations des politiciens et des militaires ne seraient jamais révélées au grand public. Ils font partie intégrante du contre-pouvoir qu'est la Presse.

 

A noter que le le Premier Amendement de la Constitution américaine garantit le droit du public à connaître une information cruciale pour sa compréhension de la politique du gouvernement. Il garantit également la liberté de la presse et la liberté de se rassembler pacifiquement.

 

En ces temps où la Presse perd de plus en plus son indépendance (car en mains de grands groupes économiques), il serait temps que le Citoyen se réveille et assure une impunité légale à tout lanceur d'alerte!

 

Michel Vonlanthen HB9AFO

 

 

 

Références